Usage du temps, Jean Follain, nrf/Gallimard, 1943
POÈME
pour Paule Gaspart
Voici ces cafés des grands jours de printemps
où les jeunes filles entrent
avec leur port de tête et leur robe moulée
et voici les grands gazons verts
et la fenêtre où flotte
un parfum mélangé
de fleur posé sur un bras nu.
Dans la nuit, au fond des chairs palpitantes
le lait lentement d’élabore
distillé par les tissus splendides
pour les grands matins de royauté.
Voici un cheval blanc, un oignon argenté
et l’air lave des goûts amers;
dans la boutique obscure et fraîche
resplendissent les mains déliées
de la marchande d’herbes.
POUR UN VIN D’HONNEUR
Dans cet estaminet au poêle brasillant
choquons nos lourds verres à bulles
sous les papillons du gaz urbain;
parmi nous aujourd’hui
une femme sourit pour tout le genre humain:
c’est notre amazone fantôme
et quand nous unissons nos mains de façonniers
qui gravèrent nos noms sur le chêne des tables
d’un collège caché dans la verdure
l’âme s’allège et les aérostats
ramènent de la nuit du temps
la fière douceur de leur envol premier.