Usage du temps, Jean Follain, nrf/Gallimard, 1943

20/01/2022

POÈME


pour Paule Gaspart


Voici ces cafés des grands jours de printemps

où les jeunes filles entrent

avec leur port de tête et leur robe moulée

et voici les grands gazons verts

et la fenêtre où flotte

un parfum mélangé

de fleur posé sur un bras nu.

Dans la nuit, au fond des chairs palpitantes

le lait lentement d’élabore

distillé par les tissus splendides

pour les grands matins de royauté.

Voici un cheval blanc, un oignon argenté

et l’air lave des goûts amers;

dans la boutique obscure et fraîche

resplendissent les mains déliées

de la marchande d’herbes.


POUR UN VIN D’HONNEUR


Dans cet estaminet au poêle brasillant

choquons nos lourds verres à bulles

sous les papillons du gaz urbain;

parmi nous aujourd’hui

une femme sourit pour tout le genre humain:

c’est notre amazone fantôme

et quand nous unissons nos mains de façonniers

qui gravèrent nos noms sur le chêne des tables

d’un collège caché dans la verdure

l’âme s’allège et les aérostats

ramènent de la nuit du temps

la fière douceur de leur envol premier.