Poèmes pour enfants seuls, Étienne Paulin, Gallimard, 2023

08/11/2023

Pour vivre encore


quarante habits dans la forêt

quelqu'un répand de la beauté

personne pour monter la garde

la mousse dort dans de la mousse

quelqu'un déborde de beauté



Qui le saura ?


dans le jardin j'entends bêcher

fébrilement


et je n'ai pas de potager

alors quelqu'un cherche un trésor


Soupirail


par qui le ciel est-il restreint

nos yeux

le matin gris de la conscience

la petite fumée sur le trottoir d'en face

quand le jour à venir n'a pas de quoi tenir



les mots comme s'ils pouvaient suffire

il y a tant d'écho

on entend quelqu'un rire


on oublie

on se sauve écumant

de honte de chagrin de honte


rien dans le bois

rien sous la terre au pied des arbres

rien dans les arrhes du réel

et pourtant le trésor est ici

sous nos yeux grâce à la pluie


mais tu sais je n'irai pas

j'ai les mains froides

de la résine sur les doigts

il attendra


Arrêté


il y dans l'air un amour de tristesse

c'est comme un grand dimanche


chère vies silencieuses

commencées dans un  pré


on s'ennuie on se rendra encore

devant les portes du hangar


ou face à la statue équestre

quoi que ce soit bâti sur décision du maire


Hommage à Philippe Soupault


j'habite la pépinière

à gauche de l'herbe

à droite de l'eau

je construis des barques des vapeurs

des remorqueurs des brise-glaces

prenons la mer

passons par les champs

je serai déguisé

en brillantine en pélican


j'ai emprunté hier un pont qui ne s'est pas effondré

je me suis demandé combien d'épines avait un sapin majestueux

j'ai regardé du linge cuivre gonflé de vent

dans le jardin d'un pavillon particulier

j'ai cueilli un bolet ventru comme un sommier

j'étais avec ses silences

j'ai retrouvé dans la forêt le train fantôme

très peu intact

ses occupants avaient maigri

l'un d'eux souffrait de dysenterie

mais tout de même ils m'attendaient


j'ai décidé d'être gentil

même avec les ramures