La nuit n’éteint jamais nos songes, Joël Vernet, Les Éditions Lettres Vives, 2021
Seul le spectacle des fleurs ce
matin, me fait rester vivant. À l'entrée de
l’hiver, la première phrase est une rose
sur le muret du jardin Elle persiste en com-
pagnie des flocons silencieux, vainqueur
des intempéries. Elle nous écrit dans sa
robe resplendissantes ou demeure muette
des heures durant, ses pétales offerts
aux quatre vents. Quand je la regarde,
elle semble tourner vers moi son visage,
entrouvrir ses lèvres minces, balbutier
quelques bribes. Oui, la rose écrit dans
la lumière la première phrase qui ne
vient jamais des livres, mais du profond
de notre petite vie, du très profond de la
douleur et de la joie, d’un éclat du soleil sur
la pierre. je t’attrape au vol et la grave sur
le papier avec un main de douceur! Mais
je ne la tue pas à l’instar de ces collection-
neurs d’insectes, de papillons, chassant au
filet dans les campagnes, chasseurs adulés
dans les livres savants! Comment peut-on
aimer contempler ces litanies de cadavres?
Seul un goût démesuré pour la mort pour-
rait faire de moi pareil collectionneur.
Pour écrire, nul besoin de s’appuyer sur
la douleur. La douleur ne suffit pas. Seule
la joue fait chavirer le coeur. Tu voudrais
écrire à voix si basse cette joie que l’on
t’entendrait à l’autre bout du monde.? Mais
tu n'écris presque plus, écoutant le silence,
traversant les nuits un torche à la main.
Somnambule. Dans la nuit se promènent
les visages des tiens. Aucune page n’efface
leur souvenir. Tu les revois tous, un à un,
hagards, hébétés ou étrangement rieurs.