La nuit n’éteint jamais nos songes, Joël Vernet, Les Éditions Lettres Vives, 2021

24/01/2022

Seul le spectacle des fleurs ce

matin, me fait rester vivant. À l'entrée de

l’hiver, la première phrase est une rose

sur le muret du jardin Elle persiste en com-

pagnie des flocons silencieux, vainqueur

des intempéries. Elle nous écrit dans sa 

robe resplendissantes ou demeure muette

des heures durant, ses pétales offerts

aux quatre vents. Quand je la regarde,

elle semble tourner vers moi son visage,

entrouvrir ses lèvres minces, balbutier

quelques bribes. Oui, la rose écrit dans

la lumière la première phrase qui ne

vient jamais des livres, mais du profond

de notre petite vie, du très profond de la

douleur et de la joie, d’un éclat du soleil sur

la pierre. je t’attrape au vol et la grave sur

le papier avec un main de douceur! Mais

je ne la tue pas à l’instar de ces collection-

neurs d’insectes, de papillons, chassant au

filet dans les campagnes, chasseurs adulés

dans les livres savants! Comment peut-on

aimer contempler ces litanies de cadavres?

Seul un goût démesuré pour la mort pour-

rait faire de moi pareil collectionneur.

Pour écrire, nul besoin de s’appuyer sur

la douleur. La douleur ne suffit pas. Seule

la joue fait chavirer le coeur. Tu voudrais

écrire à voix si basse cette joie que l’on

t’entendrait à l’autre bout du monde.? Mais

tu n'écris presque plus, écoutant le silence,

traversant les nuits un torche à la main.

Somnambule. Dans la nuit se promènent

les visages des tiens. Aucune page n’efface

leur souvenir. Tu les revois tous, un à un,

hagards, hébétés ou étrangement rieurs.