Geste (narrations), Michelle Grangaud, P.O.L, 1991
Elle cogne ses
poings contre le mur.
Cogne, cogne, cogne, en pensant, c’est idiot.
Il prend ses lunettes,
les regarde, parle
comme s’il inscrivait les mots dans les verres.
Après le repas,
on a fait la sieste.
Sous le drap on s’est amusés aux caresses.
Même en regardant
des photos, il ne
peut plus bander. Il pense: je suis fini.
Elle lui sourit
par-dessus la table.
Il lui prend la main, lui embrasse les doigts.
La grand-mère est morte.
Ils font l’inventaire
de ce qu’elle a laissé. Âpres marchandages.
Plaisir secret à
sentir le sang, qui
suinte dans la fente: n’être pas enceinte.
la café qui fume
dans la cafetière,
on le verse dans la bouteille thermos.
Ils vivent ensemble
en se haïssant.
Ne se parlent plus. « Il y a les enfants. »
Il sort du placard
la tasse ébréchée
qu’il pose sur la table de la cuisine.
Dans le tiroir du
bureau de sa mère
elle trouve un paquet de lettres jaunies.
Il est réveillé
la nuit. Il a mal
à la mâchoire. C’est la dent de sagesse.
Elle suit d’un oeil
consterné la cendre
de cigarette tombent sur le tapis.
Derrière la benne
lâchant le goudron
fumant, il est agenouillé. Il l’étale.
Elle fait la plonge
au bar Baraka.
Elle a renoncé à se vernir les ongles.
Ils sont au salon.
Petites cuillères
discrètes, tournant le café dans les tasses.
Doigts jouant avec
le pendentif qu’elle
fait glisser sur la chaîne contre ses lèvres.
Michelle Grangaud est morte le 15 janvier 2022.