Geste (narrations), Michelle Grangaud, P.O.L, 1991

25/01/2022

Elle cogne ses

poings contre le mur.

Cogne, cogne, cogne, en pensant, c’est idiot.


Il prend ses lunettes,

les regarde, parle

comme s’il inscrivait les mots dans les verres.


Après le repas,

on a fait la sieste.

Sous le drap on s’est amusés aux caresses.


Même en regardant

des photos, il ne

peut plus bander. Il pense: je suis fini.


Elle lui sourit

par-dessus la table.

Il lui prend la main, lui embrasse les doigts.


La grand-mère est morte.

Ils font l’inventaire 

de ce qu’elle a laissé. Âpres marchandages.


Plaisir secret à

sentir le sang, qui

suinte dans la fente: n’être pas enceinte.


la café qui fume

dans la cafetière,

on le verse dans la bouteille thermos.


Ils vivent ensemble

en se haïssant.

Ne se parlent plus. « Il y a les enfants. »


Il sort du placard 

la tasse ébréchée

qu’il pose sur la table de la cuisine.


Dans le tiroir du

bureau de sa mère

elle trouve un paquet de lettres jaunies.


Il est réveillé

la nuit. Il a mal

à la mâchoire. C’est la dent de sagesse.


Elle suit d’un oeil

consterné la cendre

de cigarette tombent sur le tapis.


Derrière la benne

lâchant le goudron

fumant, il est agenouillé. Il l’étale.


Elle fait la plonge

au bar Baraka.

Elle a renoncé à se vernir les ongles.


Ils sont au salon.

Petites cuillères

discrètes, tournant le café dans les tasses.


Doigts jouant avec

le pendentif qu’elle

fait glisser sur la chaîne contre ses lèvres.


Michelle Grangaud est morte le 15 janvier 2022.